francetv zoom, première étape de la création de chaînes mobiles pour France Télévisions

EDITO DE BRUNO PATINO

Notre relation à l’image est changée. Désormais, nous la tenons au bout des doigts. C’est sa place naturelle. Nous l’entendons quand des jeunes parlent d’une série qu’ils ont vue, « likée » et envoyée à leurs amis depuis leur portable, quand des proches « rattrapent » un épisode de Disparue sans même savoir où et quand il était diffusé, quand des tout petits suivent leur héros préféré sur une tablette tactile ou lorsque l’on se surprend à regarder une vidéo d’information sur la Syrie sur Instagram. Ce changement que nous constatons, sans en mesurer les conséquences, bouleverse l’image, la vidéo, et l’idée même d’un programme audiovisuel. Nous tenons l’image au bout des doigts et la télévision ne sera plus jamais la même. Bien sûr, le chemin vers ce monde réinventé peut se lire à partir d’un téléviseur. C’est là que l’on a vu d’abord se multiplier des chaînes acharnées à se disputer les 3H30 quotidiennes passées devant la TV. Nombre d’entre elles ont réagi, à l’instar de France Télévisions, avec des stratégies de bouquets à plusieurs cibles, en diversifiant la gamme des contenus, des modes de traitement et des sensibilités. Mais dans cette affaire, la télévision restait ce que Jean-Luc Godard disait d’elle pour la déprécier : un meuble. Un meuble du salon que le « canapé virtuel » des réseaux sociaux a le premier bousculé. L’idée de « voir le direct » a même, un temps, paru devenir une expérience de plus en plus étroite avec la naissance de la télévision sociale, des applications second écran, des propositions transmedia. Pour autant, le numérique n’avait pas épuisé ses effets puisqu’il renforce désormais à nouveau l’offre du téléviseur avec des services de télévision non linéaires, de rattrapage, de vidéo à la demande.

Ces formes éditoriales neuves créent un nouveau paradigme : à côté des chaînes traditionnelles, linéaires, nourries par la programmation, apparaissent des chaînes fondées sur la recommandation et la maîtrise des données individuelles. Chaque offre a ses vertus : la télévision de programmation reste sans égal pour les évènements, l’accompagnement, tout ce qui dans la vie sociale exige la simultanéité massive d’une audience voyant la même chose au même moment ; la télévision de recommandation se révèle, elle, d’une efficacité sans pareille pour proposer à chacun de voir, dans le bon moment, la série, le film, le documentaire qui correspond à ce que ses amis ou des algorithmes, et souvent les deux, savent être son attente.

Entre les deux territoires, la frontière sera poreuse. Nul ne vivra d’un côté sans passer jamais dans l’autre. L’usage de l’offre la plus intime, personnelle, est encore limité : 3% d’audience non linéaire selon Médiamétrie en 2015. Il promet d’être massif : les offres non linéaires devraient occuper 50% du temps passé devant le téléviseur dès 2020. France Télévisions, service public au service des usages du public, a voulu conquérir ce nouveau territoire en établissant des chaînes thématiques disponibles sur le téléviseur connecté (francetv info, francetv sport, Culturebox, francetv éducation, Ludo et Zouzou), et en élargissant francetv pluzz, son service de rattrapage, à la recommandation. D’autres étapes suivront.

Mais le bouleversement principal, pour la télévision, s’opère désormais hors du téléviseur : chacun tient l’image au bout des doigts. L’ordinateur a ouvert la voie à la multiplication des écrans et des interfaces. Il a créé un temps supplétif pour la consommation d’image. Les chaînes y répondent par le fameux ATAWAD (any time, anywhere, any device), que France Télévisions a adapté dans sa politique d’hyperdistribution : être là où sont les téléspectateurs citoyens. Ce qui veut dire être dans leur mobile. « It is not a device, it is a way of life » (ce n’est pas un support, c’est une façon de vivre). Comme le souligne un chercheur américain, le mobile n’est pas un support de plus, mais un rapport différent à la vie, et donc, à la culture, à l’information et au divertissement. Le temps passé avec lui mord désormais sur le temps passé devant les autres écrans, y compris, pour la première fois, sur celui du téléviseur : là où le temps s’additionnait, le remplacement devient envisageable.

Le mobile individualise et rend intime une expérience autrefois collective. Les générations qui grandissent avec lui seront différentes de celles qui les ont précédées. On peut croire qu’elles ne verront le téléviseur que comme le grand écran collectif du foyer. Est-il possible, pour le service public, d’être absent de cette nouvelle « way of life » ? Nous ne le pensons pas. Au contraire : investir le mobile avec des offres éditoriales faîtes pour lui, c’est toucher la génération du smartphone, en ne l’enchaînant plus à un téléviseur, mais en l’accompagnant dans sa vie quotidienne avec des programmes qui fassent sens.Encore faut-il le faire de façon originale, selon ses codes, ses goûts, son état d’esprit, ses emportements, ses enthousiasmes et ses usages. Lancé aujourd’hui, francetv zoom, est un prototype qui marque la première étape de la création de chaînes mobiles pour France Télévisions : nourrie des programmes de France Télévisions, mais également de vidéos anglées et éditées de façon spécifique, cette offre novatrice propose une chaîne où la recommandation marie goûts, expérience et contexte d’utilisation.

bruno patino

Bruno Patino - Directeur général délégué aux programmes, aux antennes et aux développements numériques

En 2015, un service public fidèle à lui-même propose aux téléspectateurs des programmes exigeants et généreux dont l’impact social ou personnel justifie la confiance placée en lui. En réinvention permanente, l’offre d’information, de divertissement et de culture doit à la fois rassembler, émanciper, éclairer, interroger. Mais, puisque chacun tient son image au bout des doigts, le service public doit aussi s’adapter à cette dimension spécifique, personnelle, intime dans le choix d’un moment, d’un lieu, d’un support. Il faut permettre aux citoyens de partager des choses différentes de la même façon ou des choses identiques de façon différente. Partage entre individus ou réception collective : le service public doit être présent pour chacun s’il veut rester au service de tous.