Avec Chromecast et son "JT permanent", France Télévisions accélère sur la télévision connectée et poursuit sa stratégie d'hyperdistribution des contenus. Anticiper le développement des nouveaux usages pour mieux prendre place sur le marché d'avenir que représente la télévision connectée, c'est l'ambition du groupe audiovisuel public en 2014. "Il s'agit de mettre les usages numériques actuels, émergents et à venir au coeur de la télévision", résume Bruno Patino, directeur général délégué aux programmes, aux antennes et aux développements numériques.
Accélération numérique : donner le "la"
Dans un contexte d'hyper-fragmentation des audiences, l'enjeu est réel pour France Télévisions qui a fait du numérique le coeur de sa stratégie depuis 2010. Et le moment choisi : alors que le mandat du président s'achèvera en août 2015 et que BFM vient de sortir une enquête à charge contre le groupe, justifier les lourds investissements(1) consentis ces dernières années est attendu. C'est donc sous la forme d'un bilan d'étape que le groupe a annoncé le lancement d'une chaîne d'information à la demande ainsi que son partenariat avec Chromecast, la clé USB commercialisée par Google en Europe depuis la semaine dernière grâce auquelPluzz, le service web de télévision de rattrapage, devient disponible sur l'écran télévisé.
Délinéarisation, temps réel et participation : un modèle TV "user centric"
"Ce n'est pas une chaîne d'information en continu [à l'instar de BFM ou itélé, NDLR]. Ce n'est pas non plus un site web d'info ou de flux de dépêches réactualisées sur la télévision. Ce n'est pas enfin un site de rattrapage", a déclaré Bruno Patino. C'est davantage un objet télévisuel non identifié, un mariage de la télévision et du web. La nouvelle chaîne d'information à la demande de France Télévisions s'inscrit dans les nouveaux modes de consommation des médias marqués par la délinéarisation, le temps réel et la participation. Concrètement, cette nouvelle mouture de Francetv info repose sur trois piliers orientés "user centric" : le JT permanent, le live, la personnalisation.
"Donner les clés au téléspectateur"
Au coeur de la chaîne, un JT sans présentateur de 12 minutes composé d'une agrégation de sujets vidéos issus des rédactions des chaînes du groupe (nationales, régionales et outre-mer), mais aussi des magazines d'info et du Web. L'internaute-téléspectateur peut le lancer au moment où il le veut, le visionner au long cours ou bien piocher les contenus au gré de ses envies. "Il s'agit de rassembler le meilleur de l'info quelle que soit son étiquette et de donner les clés au téléspectateur", a commenté Olivier Lendresse, directeur des services d'information et de sport à France Télévisions Éditions Numériques (FTVEN).
Amener le temps réel dans le téléviseur de manière enrichie est l'autre volet de cette chaîne. Faisant sienne l'IRL, elle s'échappe de toute contrainte horaire et de programmation : dès qu'une vidéo sera disponible, elle pourra être intégrée sans attendre d'être diffusée au JT d'une des chaînes "classiques". À droite de l'écran, un fil d'actualité (le "live") "rend compte de l'actu telle qu'elle se construit en temps réel sous tous les formats (photos, tweets, textes, vidéos, liens)", détaille Olivier Lendresse. La "conversation" n'est pas oubliée : le téléspectateur qui visionnera les magazines d'information (Mots croisés, Des Paroles et des actes, Envoyé spécial...) pourra aussi suivre sur son écran télé toute l'activité associée sur les réseaux sociaux : décryptages et commentaires s'afficheront en regard de la vidéo.
Ouvrir la voie à une télévision 3.0
Cette version 1.0 servira de test grandeur nature pour le lancement de chaînes connectées dédiées à la jeunesse et à l'éducation, "prévues à l'automne 2014", a indiqué Bruno Patino. Les plateformes verticales créées pour le web auront naturellement vocation à être les futures chaînes de télé connectées du groupe."
Elle ouvrirait la voie à une télévision 3.0, sociale et augmentée. Mais cette chaîne, présentée comme une "offre de rupture", n'est-elle pas juste un duplicata de plateforme web du groupe Francetv info dont elle issue et dont les équipes produiront et animeront les contenus ?" Or, l'on sait à quel point l'écran et l'expérience télé ne sont pas adaptés à une navigation web. "Télécommande oblige, la navigation a été simplifiée à l'extrême ainsi que le soin porté à l'ergonomie", a précisé Philippe Bourquin, directeur de la smart TV à FTVEN, lors de la conférence de presse où des démonstrations étaient proposées.
La bataille de la TV connectée
Sera-t-elle la fameuse "killer app" qui fera décoller le marché comme l'évoquait Philippe Bourquin il y a peu dans nos colonnes ? Les inconnues sont trop nombreuses et les usages à venir indéfinis pour le dire. Reste qu'en posant les jalons de la télé de demain, France Télévisions joue les pionniers sur un marché qui apparaît comme le prochain champ de bataille des médias. Son potentiel de développement en fait un enjeu stratégique pour les diffuseurs : 48,7 % des foyers français (2) ont une télévision connectée au Web tout mode confondu (téléviseur OTT, console de jeu, box FAI, Apple TV...). Mais l'équipement ne fait pas tout : les usages, bien qu'intensifiés, demeurent très limités selon une récente étude de CCM Benchmark.
Une situation que le lancement de la clé Chromecast le 19 mars dernier pourrait sensiblement modifier. L'adaptateur de Google facilite en effet la diffusion de contenus en ligne sur grand écran. Présentée sous la forme d'une clé USB qui se branche sur le connecteur HDMI de n'importe quel téléviseur, elle permet via le réseau wi-fi domestique de diffuser sur l'écran télévisé des contenus issus du Web et ce, quelque soit le device (tablette, smartphone, ordinateur).
Selon Grégory Raymond, responsable de l'économie au Huffington Post, Chromecast pourrait être le déclencheur d'un écosystème favorable au développement de l'OTT, peu plébiscité par le public français qui, du fait des offres télécom triple-play, accède en majorité à la télé connectée via la box FAI. Or, par sa simplicité d'usage et son petit prix (35 euros), Chromecast a de quoi séduire les internautes-télespectateurs. Pour les chaînes de télés et acteurs du Web, la clé Google représente un vecteur supplémentaire de contenu autant que l'opportunité de s'affranchir à terme des box FAI (Bouygues, Free, Orange), jugées rigides, contraignantes et coûteuses.
Chromecast, OTT, FAI : la stratégie de l'hyperdistribution
Pour sa part, France Télévisions poursuit sa stratégie d'hyperdistribution en déployant son offre de contenus sur l'ensemble des supports et plateformes (web, mobile, tablette, télé), et ce quels que soient le canal et le périphérique. "Être présent partout sur toutes les plateformes adaptées à tous les usages", a livré en synthèse Bruno Patino. Avec son appli de replay Pluzz, France Télévisions fait ainsi partie des premiers diffuseurs à être présent sur Chromecast (3).
Quant à la chaîne de télé Francetv Info, si elle n'est actuellement accessible que sur les téléviseurs équipés en HbbTV (4) - "un parc estimé à 1 million de téléviseurs", selon Philippe Bourquin -, le groupe vise sur le court terme 13 millions, puis 22 millions en 2017. "On est en discussion avancée avec tous les constructeurs TV et les fournisseurs d'accès à Internet", a ajouté Philippe Bourquin... Pour l'heure et en attendant que le brouillard se lève.
(1) Le budget total du numérique a triplé depuis 2009, passant de 23 millions à 46 millions en 2011 et à 78 millions en 2014. En 2013, sur un budget de 67 millions d'euros, les recettes se sont montées à 28 millions d'euros, soit un écart de 39 millions.
(2) Source : Étude "Référence des équipements multimédias", GFK Médiamétrie, dernier trimestre 2013.
(3) Actuellement, exceptés les services maison (Google Play Musique, Google Play Films et Chrome) et SFR TV (pour les abonnés à l'opérateur), deux diffuseurs ont signé un partenariat avec la firme de Moutain View : Canal+ qui y met à disposition CanalPlay (la plateforme de vidéos à la demande de Canal+) et France Télévisions avec son appli de replay Pluzz.
(4) Hbbtv est le standard industriel européen de télévisions connectées qui permet aux chaînes de proposer des contenus supplémentaires.