Quel avenir pour la télévision à l’heure du P2P et du SoLoMo ? (via FredCavazza.net)

Il y a 5 ans, je m’interrogeais sur les synergies naissantes entre le secteur télévisuel et le web : La télévision est-elle l’avenir de l’internet ? En partie. Dans cet article, je m’étonnais du fait que la télévision n’avait pratiquement pas évolué en plusieurs décennies. Nous sommes maintenant en 2014 et la TV n’a toujours pas évolué : toujours le même principe d’écran de consultation passif. Certes, les écrans sont plus fins, il y a plus de pixels (les premiers écrans UltraHD sont à peine en vente que l’on nous parle déjà de la 8K), éventuellement de la 3D, mais pour la grande majorité des foyers français, usages et technologies n’ont quasiment pas évolué depuis l’arrivée de la TNT qui n’a fait “que” rajouter quelques chaînes.J’ai été très récemment interviewé par les équipes de France TV sur ce sujet : Frédéric Cavazza s’exprime sur l’évolution de la télévision. Cette interview a été l’occasion pour moi de réfléchir à l’évolution du marché et surtout de constater l’avancée inexorable des acteurs de l’internet et la situation plutôt inconfortable dans laquelle les chaînes se retrouvent.

Disclaimer : Je ne suis pas un professionnel du secteur, bien au contraire. Cet article n’a pas pour but de critiquer, mais de présenter ma vision des choses depuis mon point de vue d’observateur averti.

Où sont les innovations ?

Comme annoncé dans l’introduction, je constate que la télévision en tant que terminal ou en tant que média n’a quasiment pas évolué depuis plusieurs décennies, et pourtant, elle reste le support de prédilection des annonceurs : TV remains the 10,000 pound gorilla in the advertising market. Comme précisé également plus haut, il y a effectivement eu de nombreuses petites améliorations techniques (notamment sur l’affichage), mais le rythme d’innovation est sans commune mesure avec d’autres types de terminaux comme les smartphones ou les ordinateurs portables. La seule technologie réellement novatrice que j’ai pu observer est le HbbTV, mais malheureusement uniquement disponible sur les TV compatibles (une infime minorité) : La TV augmentée enfin libérée de toutes contraintes avec le standard HbbTV.

La majeure partie des nouveaux usages et services vient des box des fournisseurs d’accès (Replay, PiP, applications, cloud gaming…). Depuis la sortie de la Freebox Revolution, c’est à une véritable course à la surenchère que se sont livrés les fournisseurs : Comparatif box internet. Si vous cherchez à savoir si le marché de la TV connectée est une réalité, ne cherchez plus : Médiamétrie estimait l’année dernière que plus de 25 M de français regardaient la TV via l’ADSL. La TV connectée est donc un marché d’envergure, reste encore à motiver les téléspectateurs à sortir de la passivité et à être plus actifs dans leurs usages.

Aux États-Unis la situation est différente, car les set-top-boxes ont été introduites bien plus tôt. Roku avait pris une longueur d’avance sur ce créneau, mais ils sont en train de se faire rattraper par Google qui a marqué un grand coup avec son Chromecast et sa plateforme d’applications : Get ready for tons of new Chromecast apps: Google releases Cast SDK.

L'adaptateur Chromecast de Google
L’adaptateur Chromecast de Google

Comme quoi, les solutions les plus simples sont celles qui ont la préférence du grand public. Du coup, les autres fabricants se ruent dans la brèche : Roku tackles Chromecast with a new Streaming Stick, will let you stream content from your PC in futureNetgear announces NeoMediacast to compete with Chromecast et Baidu’s Chromecast clone goes on sale in China for $32. Décidément, les équipes de Google se montrent particulièrement motivées pour partir à l’assaut du petit écran, que ce soit avec Chrome ou Android, malgré un faux départ avec la Google TV  (Pourquoi Google a quasiment déjà gagné la bataille du salon avec Google TV). Et cette tendance n’est pas près de se tarir : Les micro-consoles vont-elles devancer les TV connectées ?.

Comme vous pouvez le constater, les fabricants de boitiers et de “dongle” se plient en quatre pour proposer des innovations technologiques. Le problème est que toutes ces nouvelles fonctionnalités se heurtent encore au problème de la télécommande : comment parvenir à proposer une expérience simple et intuitive ? Certains comme Roku tentent de simplifier au maximum la télécommande et l’interface, mais la recherche reste très compliquée. D’autres sont plus pragmatiques à l’image de UCWeb qui s’appuie tout simplement sur le smartphone des téléspectateurs : China’s UCWeb launches UC Browser for TV, moving beyond smartphones to target multiple screens.

L'interface de Roku
L’interface de Roku

Outre les problèmes d’ergonomie, ces nouvelles technologies apportent les mêmes interrogations en matière de confidentialité que les smartphones : les téléspectateurs sont-ils conscients de l’utilisation des données collectées ? Car ne nous leurrons pas : l’analyse comportementale des téléspectateurs est un marché gigantesque (cf. Quand les TV connectées espionnent leurs utilisateurs). Encore un sujet épineux à ne pas négliger…

Quand le téléchargement bouleverse la grille des programmes

Pour vous résumer une longue histoire, le modèle économique des chaines de télévision est de financer ou d’acheter des contenus en gros (à des sociétés de production) et de les diffuser à l’unité en y insérant des espaces publicitaires. Les chaînes assument donc plusieurs fonctions :

  • La fabrication de contenus récurrents (journaux, émissions…) ;
  • La rediffusion d’évènements sportifs (J.O., championnat de foot et rugby…) ;
  • Le financement de fictions de façon directe (téléfilms) ou indirecte (achat de films ou de séries TV) ;
  • La conception d’une grille de programme.

Ce dernier point est particulièrement important, car tout l’art d’une bonne chaine de TV est d’orchestrer de façon judicieuse la rencontre entre des programmes et des téléspectateurs et de créer des habitudes, donc de l’attente. Jusqu’à présent, tout se passait pour le mieux avec un nombre limité de chaines et de programmes. Mais avec l’arrivée de la TNT puis la généralisation des boitiers ADSL, l’attention des téléspectateurs a commencé à se disperser, et leur intérêt a décru à mesure qu’ils découvraient l’existence de programmes de meilleure qualité ailleurs (principalement des séries TV : Barely Keeping Up in TV’s New Golden Age).

Je pense ne rien vous apprendre en vous écrivant que la France est un des marchés où l’on télécharge le plus de façon illégale. Les gouvernements successifs ont bien essayé de trouver des solutions, notamment la riposte graduée, mais rien n’y fait : une fois que la boîte de Pandore a été ouverte, il y quasiment impossible d’arriver à faire revenir les téléspectateurs dans le droit chemin. Traduction : une fois que vous avez “goûté” à Games of Throne, Arrested Development ou True Detective, il est dur que de se contenter de Joséphine ange gardien. Je ne pense pas me tromper en disant qu’il ne peut y avoir des millions de gens malhonnêtes en France, simplement ils aspirent à des contenus de meilleure qualité… qui se trouvent être disponibles en quelques clics. Loin de moi l’idée de vouloir relancer le débat sur le P2P, mais force est de constater que les offres de téléchargement légales ne donnent pas le change (comment je fais pour voir la deuxième saison de King of the Nerds ?).

Le plus gênant dans cette histoire de téléchargement est la disparition de la grille de programme : une fois téléchargés, les contenus (films, séries, émissions…) peuvent être regardés n’importe quand, sans aucune contrainte, ni pub. Ce n’est pas tant la volonté de nuire qui je pense motive les adeptes du téléchargement, mais plutôt leur rejet de la logique de grille de programme et tout ce qui va avec (choix limité, coupures pub…). Ceci est d’autant plus vrai avec la généralisation des terminaux mobiles qui permettent de visionner ces contenus n’importe où (tablettes, smartphones…).

À partir du moment où l’internet permet de contourner les grilles de programme et d’assurer la diffusion des contenus (de façon asynchrone avec du téléchargement P2P ou de façon synchrone avec de l’adaptative streaming), que reste-t-il aux chaines ? C’est justement là où les terminaux mobiles et les médias sociaux peuvent aider.

Le SoLoMo pour augmenter l’audience des contenus alternatifs

Non, je ne vais pas vous annoncer la disparition de la télévision. Jusqu’à preuve du contraire, c’est un média qui fonctionne encore très bien. Ceci étant dit, je constate qu’il existe des alternatives très crédibles à ce que peut nous offrir le paysage audiovisuel :

  • Les portails d’informations proposent un contenu bien plus riche et “frais” que les journaux de 13h et 20h ;
  • Les podcasts disponibles sur Youtube ou Dailymotion offrent un choix bien plus large de sujets (où sont les émissions TV pour les hardcore gamers ou sur le longskate ?) et de nombreux animateurs “vedette” (ex : Norman, Cyprien…) ;
  • Les web series proposent également plus de diversité (ex : Man vs. Dead) ;
  • Les web documentaires proposent une expérience bien plus enrichissante que les reportages ;
  • Les lifecast et autres pratiques de sur-publication sur les médias sociaux pourraient remplacer les émissions de TV réalité…
La chaîne YouTube de Man vs. Dead
La chaîne YouTube de Man vs. Dead

Comme vous l’aurez compris, tout est question de quantité vs. qualité, si l’intérêt des téléspectateurs diminue, c’est que les contenus proposés sont de plus en plus conformistes, ils préfèrent se tourner vers le web où ils trouvent des contenus plus “frais” et surtout plus proches (nous parlons ici de proximité géographique, mais aussi thématique, émotionnelle…). Certes, pour le moment les contenus publiés sur le web au travers de YouTube ou Dailymotion souffrent de budgets très limités, mais quand on voit les revenus des chaines les plus populaires, on se dit que cela pourrait changer : We Ranked YouTube’s Biggest Stars By How Much Money They Make.

Entendons-nous bien : le but de cet article n’est pas de vous convaincre que la télévision est morte, mais de vous démontrer qu’il existe des contenus alternatifs tout à fait viables qui peuvent potentiellement détourner l’attention de nombreux téléspectateurs. À choisir, je préfère largement Spi0n ou Magic of Rahat à Video Gags ou la Caméra Cachée. Heureusement, les grandes chaînes de télévision ont anticipé cette tendance et investi de grosses sommes pour développer le contenu et l’audience de portails thématiques : MyTF1NewsPlurielles ou TFou pour TF1 ; FranceTVSportGéopolisCultureBox ou MonLudo pour FTV. Ces derniers ont même un site dédié aux web documentaires : Nouvelles écritures. Je doute que tous ces sites soient rentables, mais l’important pour ces chaînes est de commencer à capitaliser sur un savoir-faire et acquérir de l’expérience.

Le portail Géopolis de FranceTV
Le portail Géopolis de FranceTV

Créer des contenus réguliers pour du prime time est un exercice résolument très différent de créer des contenus de niche ou de l’information en temps réel. C’est justement là où le SoLoMo entre en scène, car ces trois dimensions permettent à un média très classique comme la télévision de basculer dans le XXIème siècle, dans l’ère numérique : Les médias sociaux servent à la fois à amplifier la visibilité et la décharge émotionnelle de programmes de grande écoute (cf. Etat des lieux de la SocialTV : entre ralentissement et opportunités), mais également à développer l’audience de contenus de proximité (géographique, thématique ou émotionnel), faisant ainsi la transition avec le local. Dernier point, et pas des moindres, les terminaux mobiles qui permettent à la fois d’interagir avec les émissions en temps réel et de consulter les contenus en toute liberté (BBC Rolls Out New iPlayer ‘Rebuilt For The Multiscreen World’, Plans Online Only Channel For BBC3). Bref, SocialLocal et Mobile ne peuvent être abordés de façon individuelle, ils forment un tout qui ouvre d’immenses opportunités. L’important étant d’avoir la capacité à produire des contenus pertinents.

Au final, on se dit que le meilleur moyen pour les chaînes de télévision d’aborder la transformation des usages en matière de divertissement et d’information est de se transformer en des meta-producteurs de contenus dont l’objectif serait de financer la création de différentes formes de contenu (textuels, visuels, interactifs…) qui seraient ensuite distribués sur une multitude de canaux (TNT, web, applications mobiles…). Sous cet angle, je comprends un peu mieux pourquoi le gouvernement a bloqué la vente de Dailymotion à Yahoo : pour pouvoir sécuriser un canal de diffusion alternatif (ou alors il y a d’autres raisons que je ne maitrise pas). Selon ce scénario d’évolution, les chaînes de TV ont du soucis à se faire en ce qui concerne leurs nouveaux concurrents, notamment Netflix qui dispose de son propre réseau de distribution (en streaming) et de très bons succès (la série House of Cards a triomphé lors des derniers Emmy Awards).

La conclusion de cet article est quasiment la même qu’il y a 5 ans : l’internet est l’avenir de la télévision, et inversement. Sauf que… en ce qui concerne le temps passé devant le grand écran du salon, l’attention des utilisateurs ne se répartit pas qu’ente les contenus télévisuels “classiques” et les contenus alternatifs, il faut aussi compter avec les jeux vidéo. J’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer sur la place que les jeux vidéo ont dans notre culture et notre société (Le XXIème siècle sera vidéo-ludique), aussi je suis persuadé que pour aborder de façon sereine la transition entre l’analogique et le numérique, les jeux vidéo sont une composante essentielle des contenus alternatifs. La courbe d’apprentissage en ce domaine étant très importante, il est primordial de s’y mettre au plus vite.

Voici donc comment j’envisage l’avenir de la télévision : portails thématiques, podcats, web séries / documentaires et jeux vidéo. Et vous?

Pour retrouver les autres billets de Frederic Cavazza, rendez vous sur son blog!