Citizen Fan : les fandom ont leur webdoc !
A l’occasion de la sortie de Citizen Fan, l’équipe de Plateau télé est allée à la rencontre d’Emmanuelle Wielezynski-Debats, qui propose cette œuvre numérique entièrement dédiée aux fans et à leurs créations.
- A voir sur Citizenfan.fr (Sortie le 10 septembre) -
Interview de Emmanuelle Wielezynski-Debats :
1- En quelques mots, pouvez-vous nous expliquer de quoi parle le webdoc
Citizen Fan ?
Citizen Fan parle de l’imaginaire et du besoin de créer. Citizen Fan présente des gens qui assouvissent ce besoin de créer en prolongeant la vie des personnages de fiction (de romans, mangas, séries, films, jeux vidéo etc..) qui comptent pour eux.
Qui n’a jamais refait, dans sa tête, la fin d’un film ou d’un livre parce qu’il n’en était pas content, ou tout simplement pour prolonger le plaisir d’être dans un univers aimé ? C’est quelque chose que nous faisons tous en rêve.
Les personnages de Citizen Fan, eux, sont passés à l’acte. Ils sont partout sur la planète, appartiennent à un monde alternatif, qui a ses règles, ses codes et qui prend de plus en plus d’ampleur.
Une aile de Citizen fan est consacrée à l’exposition de créations de fans du monde entier (écrits, dessins, films etc.) et dans une seconde aile du webdoc, se trouvent les portraits d’une quinzaine de fans « transformatifs », pour reprendre le terme utilisé aux USA.
Ces portraits, éclairés par des experts (sociologues, juriste) nous permettent de situer et de comprendre les enjeux de ce phénomène.
2- Qu'est-ce, pour vous, un "Citizen Fan" ?
Un Citizen Fan, c’est une personne (le plus souvent une femme) qui aime profondément une oeuvre et qui va au-devant de personnes qui aiment la même histoire, pour leur en proposer une nouvelle version.
Parfois, un Citizen Fan, ne va pas écrire, mais uniquement lire et commenter ce que d’autres auront écrit. Ainsi vivent les fandom (communautés de fans ou d’amoureux d’un univers), ainsi sont les Citizen fans : des personnes qui savent que les histoires gagnent à être racontées plusieurs fois et par différents conteurs.
3- Comment est né ce projet ? D'où vous est venue l'idée de faire un webdoc sur ce phénomène de fans ? Etes-vous l'une d'entre eux ?
Citizen fan est né le jour où j’ai découvert la fanfiction. Ce projet est né de ma surprise, pas tant de l’histoire que je lisais mais de la démarche de l’auteur de fanfiction, qui « touchait à la culture », démarche que je n’avais, bizarrement, pas envisagé jusque-là.
Je pensais qu’une série, un film ou un livre, une fois lus ou regardés, regagnaient les étagères pour y attendre d’être relus éventuellement, quand bien même ils m’avaient marquée, quand bien même ils m’avaient guidée. Je n’ai jamais osé prolonger une œuvre existante. J’ai été frappée que d’autres le fassent.
Il faut préciser que je n’aurais sans doute jamais découvert la fanfiction, si je n’avais pas été fan (de la série Castle). Je ne serai jamais allée sur les sites où elles sont publiées. Sans ma fanitude, je n’aurais pas compris à quoi servait la fanfiction. Je pense qu’il faut qu’elle vienne combler un manque, au moins une fois, il faut l’avoir ressenti, pour en voir l’utilité, la richesse, l'ambiguïté.
J’ai beaucoup aimé découvrir cette création amateur. Il me semble que c’est un plaisir et un défi pour ceux qui écrivent car leur lectorat est exigeant et très impliqué.
4- Combien de temps vous a pris la création de ce projet, de l'idée à la mise en ligne ?
Cela a pris 3 ans et demi. L’idée, je l’ai eue en Janvier 2011. J’ai lu des bouquins de sociologues américains. J’ai fouillé internet pendant plusieurs mois avant de me sentir prête pour venir voir France Tv Nouvelles écritures. Boris Razon et son équipe ont accepté le projet en 2012. Nous avons envisagé chaque étape conjointement et soumis le projet à 2 séminaires de développement.
Les tournages se sont échelonnés entre le 25 Mai 2012, date de mon interview du professeur Henry Jenkins (USC), qui a été l’interview « colonne vertébrale » de mon travail, et le 18 Février 2014, avec mon interview de Lionel Maurel (SavoirsCom1), qui est un spécialiste des problèmes juridiques dans l’environnement numérique, les pratiques transformatives des fans étant, en France, encore en décalage avec la loi.
Le montage a duré plusieurs mois et a nécessité d’avoir l’autorisation de 400 fans de 34 pays pour pouvoir illustrer le webdoc avec leurs œuvres.
Il a fallu 6 mois de travail à l’agence Web, Nineteen Groupe, pour mettre en ligne Citizen Fan.
5- Quelle a été la plus grosse difficulté que vous ayez rencontrée autour du projet ?
De prime abord, le sujet n’est pas simple et suscite un peu d’animosité. Alors qu’on parle de gens hyper créatifs, ce sujet provoque des blocages. Il contrarie nos définitions traditionnelles d’œuvre d’art, d’artiste, d’activité de loisir même. Il parasite l’idée qu’on se fait d’internet ou des jeux vidéos. Nos ados ne sont pas censés s’épanouir via la consommation de la culture industrielle. Nos « ménagères » ne sont pas censées écrire des romans subversifs à partir de Star-Trek ou de Sherlock.
Je suis comme tout le monde, j’ai donc dû passer par des étapes pour bien comprendre ce que j’entendais dans les repérages et les interviews. Les pratiques en elles-mêmes sont inouïes. Le vocabulaire, les codes, l’éthique, les lieux sont neufs.
6- Comment avez-vous choisi les fans dont le webdoc fait le portrait ?
J’ai demandé aux administrateurs de forum de bien vouloir me rencontrer et ensuite, à travers eux, j’ai fait un appel aux volontaires, à ceux qui sentaient qu’ils avaient à parler. Les communautés de fans se savent nombreuses mais sous représentées médiatiquement et bien souvent moquées par les médias. Il y a donc une crainte mêlée d’une volonté de faire connaître leurs pratiques à un plus grand nombre. J’ai rencontré une centaine de fans créatifs et ensuite il m’a fallu choisir celles et ceux qui allaient incarner les thématiques principales du fandom. J’ai essayé de prendre des fans de différents fandom et pratiquant différents arts. J’ai dû aussi tenir compte d’impératifs de calendriers ou de production.
7- Comment expliquez-vous que ce milieu pourtant si prolifique reste si peu connu en France ?
Je vois plusieurs raisons et je ne les connais pas toutes !
Tout d’abord, les créations des fans sont, pour une majorité, dérivées d’oeuvres qui en France sont peu considérées par les élites : la littérature jeunesse (Harry Potter), la science-fiction, le jeu vidéo, etc...
Vous me direz qu’il y a des fanfictions dérivées de grands classiques de la littérature ? Malheureusement, dans ce cas, je crois qu’en France, on ne pense pas qu’une oeuvre gagne à être reprise, transmise, manipulée par les nouvelles générations. On a oublié que cela a existé chez nous comme ailleurs, et que cela a permis à des héros de parvenir jusqu’à nous.
Ceci étant dit, je pense que ces pratiques sont de plus en plus connues. C’est un loisir passionnant qui se développe fortement avec internet.
Pour certains personnages de Citizen fan, leurs fanfictions, leurs cosplay, sont des moments de liberté et de bonheur, tout simplement.
Les universitaires français se sont lancés dans l’étude des fandom, à l’image de sociologues comme Sébastien François ou Mélanie Bourdaa, et bien d’autres, qui ne lâcheront plus le morceau. Si les intellectuels prennent la place, je sais que nous allons vers de beaux moments de découverte.
8- Pourquoi avoir choisi le format du webdoc ?
A mesure que j’ai découvert les fandom, j’ai aussi réellement découvert un usage fascinant d’internet, tant pour les fans créatifs, que pour moi documentariste.
J’ai voulu faire un webdoc parce que je me suis rendue compte que mon sujet était vaste et que mon travail pourrait, grâce aux possibilités du net, aller plus loin, rendre mieux compte de ce phénomène. Le format du webdoc permet de faire plusieurs parcours de durées différentes; d’en varier les problématiques ou les angles d’attaque tout en conservant un même but. On peut changer de ton, selon le type de parcours que l’internaute choisit. On peut insister sur la féminité du fandom, ou bien sur sa jeunesse, sur le côté baroque de ses créations, ou sur le décalage entre la loi et les moeurs. On peut explorer les fandom par la science-fiction ou par la littérature anglaise du XVIIIe siècle, par les comics ou les jeux vidéo. Autant d’entrées qui donnent vers la même caverne d’Ali Baba de notre imaginaire commun, de Nos histoires, au fond.
Le format du webdoc permet aussi de donner vie aux illustrations. Alors que dans le documentaire-antenne, les archives et les illustrations ne sont identifiables qu’à partir d’un générique final et bien souvent pas vraiment accessibles ; avec le webdoc, il est donné à l’internaute de pouvoir aller sur le site source de l’illustration et s’il le veut de la télécharger, de la commenter, d’en voir d’autres du même auteur. Citizen Fan ne retient pas l’internaute mais au contraire le pousse vers son sujet, le pousse vers les fandom. J’apprécie que mon documentaire serve à découvrir. On entre dans Citizen Fan et on ressort parmi les fans de My Little Pony ou ceux de Harry Potter.
Ces créations de fans sont toutes tournées vers la communauté, et leurs créations sont en général collaboratives. Nous avons imité cela et pensé Citizen Fan comme une plateforme participative, sur laquelle les internautes peuvent ajouter leurs œuvres. Seul un WEB’doc permettait d’être ainsi ouvert.
9- Vous avez du lire énormément de Fanfictions ! Vous pouvez nous en conseillez quelques unes pour la rentrée ?
Vous pourriez commencer par lire celles qui sont dans Citizen Fan 😉
En plus, il y a aussi, par exemple :
Chez Harry Potter
Chez Castle
Chez Hannibal
Emmanuelle Wielezynski-Debats
Site Internet : Citizenfan.fr
Facebook : facebook.fr/citizenfan
Twitter : @Citizen_Fan #CitizenFan
Citizen Fan est un web-documentaire d’Emmanuelle Wielezynski-Debats, co-produit par la Gaptière production et francetv nouvelles écritures.
L'équipe de Plateautélé remercie chaleureusement Emmanuelle Wielezynski-Debats pour cette interview et lui souhaite une bonne continuation pour la suite.