Un an et demi après sa nomination à la tête des programmes de France Télévisions, Bruno Patino fait le bilan de son action. Les échecs de l'access prime time sur France 2 ne doivent pas occulter les succès rencontrés par la fiction française et les documentaires sur les chaînes du groupe. France 2 doit renouer avec les grands divertissements.
LE FIGARO. - Regardez-vous les matchs des Bleus sur TF1?
Bruno PATINO. - Oui, je regarde chaque match.
Pourquoi France Télévisions n'a-t-il pas acheté des matchs, comme en 2010?
Cela ne s'est pas présenté comme cela. La problématique des événements sportifs sur les chaînes en clair se pose avec de plus en plus d'acuité. France Télévisions essaie déjà de maintenir ses grands événements comme les Jeux olympiques, Le Tour de France, Roland-Garros, le rugby, l'athlétisme et la natation.
Face à TF1, qui fait 60 % de part d'audience avec le foot, on fait de la contre-programmation. Ainsi, face au match France-Suisse, France 3 a programmé «Musique en fête», du lyrique à Orange, et la chaîne s'est classée deuxième derrière TF1.
Les audiences se redressent. France Télévisions est-il sorti de son annus horribilis?
L'arbre de l'access prime time sur France 2 cache la forêt de ce qui va bien sur les chaînes de France Télévisions. Il est vrai que nous avons eu des difficultés sur l'access de France 2, mais nous n'avons pas été les seuls à en rencontrer sur cette case. Je reconnais les erreurs sur l'access et j'en prends ma part de responsabilité, mais aujourd'hui, Thierry Thuillier a remis tout cela en ordre. En revanche, il ne faut pas oublier que l'access de France 3 cartonne et que celui d'Anne-Sophie Lapix sur France 5 se porte très bien.
Quel est votre bilan dans les programmes?
Il est très positif sur bien des points. Nous avons réalisé la meilleure saison en fiction sur France 2 depuis 2011, la meilleure saison en fiction sur France 3 depuis 2012, la meilleure saison des documentaires en prime time de France 2 depuis 2010, la meilleure saison des documentaires en prime sur France 5 depuis la création de la chaîne. Et le tout avec des fictions et des documentaires produits en France. Les audiences de prime time progressent sur nos chaînes. Même s'il est vrai qu'en raison de la fragmentation des audiences, l'audience générale de France Télévisions n'échappe pas au tassement car les nouvelles chaînes de la TNT progressent, ainsi que la consommation des autres écrans.
Quels sont les chantiers qu'il reste à entreprendre?
France Télévisions doit rouvrir le chantier du divertissement et des grands formats de flux. Nous devons être capables d'imposer des formats ambitieux comme «The Voice», mais pour cela il faut que nous disposions de temps et de cases horaires adéquates. Nous discutons déjà avec de grands producteurs sur ce sujet.
France Télévisions n'a pas été très actif dans le mercato audiovisuel.
Notre but n'est pas d'animer le mercato. L'an dernier, nous avions recruté Anne-Sophie Lapix, qui a connu un grand succès sur France 5. D'ailleurs, elle va voir son rôle accru sur France Télévisions, car elle présentera «Mots croisés» sur France 2 tous les quinze jours. Pour la rentrée, nous avons énormément de nouveautés à présenter et nous intégrons régulièrement de nouveaux visages sur nos antennes. Vous le verrez dans les prochains jours.
La valse des patrons a déstabilisé France 2 et France 3. Comment gérer autant de départs?
Être patron des antennes et des programmes, ce n'est pas forcément une sinécure. Moi, je m'inscris dans une perspective de travail sur la longue durée. Quand je dirigeais France 5, je fonctionnais en tandem avec Pierre Block de Friberg, qui est maintenant le directeur de l'antenne et des programmes de France 5. Sur France 4, nous avons installé Tiphaine de Raguenel, car il fallait incarner le changement de la chaîne. Par ailleurs, j'espère bien que Thierry Thuillier sera à la tête de France 2 pour longtemps. Enfin, à titre personnel, j'ai regretté le départ de Thierry Langlois de France 3, mais sa remplaçante, Dana Hastier, est sur la chaîne depuis longtemps et nous partageons beaucoup d'idées en commun.
Martin Ajdari a quitté la direction, et on a beaucoup parlé de votre éventuel départ. Est-ce une fin de règne à France Télévisions?
J'essaie de faire progresser les antennes au jour le jour. Mon but n'est pas de durer, mais de faire des choses qui dureront après moi. Dès le départ, c'était mon objectif. On sait que les mandats à France Télévisions prennent fin, mais l'important est de passer le témoin à d'autres.
Quel bilan faites-vous de votre stratégie numérique?
Depuis quatre ans, j'ai construit une stratégie dans le numérique qui s'inscrit dans la durée. Nous disposons de 42 millions de budget pour les éditions numériques. Si on y ajoute les achats de droits et les infrastructures numériques en régions, ce budget atteint une soixantaine de millions. Avec cela, nous avons réussi à faire beaucoup de choses. D'une part, nous avons développé tous les services de télévision de rattrapage sur tous les écrans. En octobre 2010, il y avait 5 millions de vidéos vues par mois, maintenant nous sommes à 120 millions par mois. C'est une vraie réussite. D'autre part, nous avons développé des offres thématiques. Sur l'information, nous n'existions pas il y a quatre ans et aujourd'hui francetvinfo est entré durablement dans le top 5 des sites d'information. Par ailleurs, nous avons mis en ligne une offre culturelle, «Culturebox», qui a vu son audience progresser de 122 % en un an. Le sport, l'éducation, la jeunesse sont aussi de belles thématiques.Tout cela permet de récolter des recettes publicitaires. En 2014, elles atteindront entre 30 et 32 millions d'euros, et la publicité numérique est en hausse de 52 % par rapport à l'année dernière. Elles ne couvrent pas encore les coûts, mais aucune structure de France Télévisions ne voit ses dépenses couvertes uniquement par la publicité. Notre groupe est en partie financé par la redevance. Que cette redevance serve aussi aux Français qui utilisent d'autres écrans que celui de la télévision me semble normal.
Êtes-vous un homme du numérique plutôt que de programmes?
Du numérique, j'en fais depuis dix-huit ans ; de l'édition, depuis vingt-cinq ans. En arrivant de France 5 à la direction des programmes des chaînes de France Télévisions, il y a des choses que je connaissais moins bien que d'autres avant, comme la télévision de divertissement. En revanche, je connaissais les gens qui la connaissent et j'ai travaillé avec eux. Soyez sûr que j'ai vraiment pris goût à tous les genres de programmes.
Êtes-vous candidat à la succession de Rémy Pflimlin, dont le mandat s'achève en août 2015?
Il y a un an et demi, j'ai déjà répondu à cette question par la négative. Je maintiens cette réponse aujourd'hui.
Qu'allez-vous faire après?
Je n'en sais absolument rien.