Bruno Patino, directeur des programmes de France Télévisions, nous présente sa vision de la télévision connectée

PAR JULIEN BICHON DANS INTERVIEWTV CONNECTÉE · 19 JUIN 2013 · pour socialtv.fr

Bruno-Patino
Nous avons rencontré Bruno Patino, Directeur général délégué aux Programmes, aux antennes et aux développements numériques de France Télévisions pour l’interviewer sur sa vision de la télévision connectée et sur les innovations du groupe France Télévision.

Bonjour M. Patino, pouvez-vous nous présenter les projets de France Télévision en termes de télévision connectée ?

francetelevisionBonjour, nous avons lancé il y a deux semaines notre hub, pour simplifier l’accès à tous les services que nous pouvons proposer comme revoir un programme, le partager, ou salto qui permet de revenir au début d’un programme. Pour faire cela nous avons revu et réorienté le chemin d’accès en proposant un bandeau donnant accès à des services de télévision augmentée. La technique que nous avons utilisée est hbbtv, qui est à la fois un standard industriel et une initiative d’harmonisation de la diffusion de la télévision. Elle nous permet de proposer ce bandeau en overlay, c’est à dire incrusté au programme que vous regardez. Pour l’instant nous sommes encore dans des démarches prototypes sur ce projet car ce service n’est pas encore disponible sur toutes les marques de téléviseurs, mais nous essayons d’en toucher le plus grand nombre.

Les différents acteurs du marché de la télévision augmentée se livrent une vraie guerre via différentes plateformes privées et libres. Qu’anticipez-vous ?

Pour nous il y a deux choses : pourquoi on milite et ce que l’on fait. Deux choses qui peuvent être très différentes. Il y a ce que vous souhaitez et la réalité économique. Chez France télévision, nous l’avons d’ailleurs déjà écrit via des contributions officielles que ce soit sur la mission Lescure ou l’émission sur la télé connectée de Marc Tessier. Nous avons toujours plaidé pour un univers ouvert et interopérable. Les plateformes développées chez nous sont non propriétaires dans tous les domaines. On plaide vraiment pour un univers ouvert. C’est d’ailleurs un de nos devoirs en tant que service public. Nous sommes fiers d’être financés par tous et donc d’appartenir à tous. On ne peut pas dire aux gens qui ont choisi telle ou telle technologie, tel ou tel prestataire de service, telle ou telle box, vous n’avez pas le droit d’accéder aux contenus de France télévision parce que vous avez choisi une solution technologique avec qui nous ne travaillons pas. De la même façon, il serait incompréhensible qu’on dise qu’avec un téléviseur Sony vous ne pouvez pas recevoir France 2. Nous mettons à disposition et nous accompagnons l’émergence de nos services pour toutes les plateformes y compris dans des univers clos et ce gratuitement. Cela a un coût pour nous, puisque comme vous l’imaginez, il faut développer Pluzz sur MacOS, Androïd, Windows 8, voir même en html5. Il faut ensuite le développer pour les interfaces particulières de la box d’Orange, de SFR et Bouygues Telecom, et sur Xbox. Proposer pluzz sur hbbtv est une chose, il faut ensuite développer les applications. Il est vrai que l’on est dans un moment d’explosion où tout le monde essaye de proposer son service. Il y aussi l’explosion des normes où tout le monde essaye de jouer sa carte propriétaire. Ce que l’on appelle de nos vœux, c’est un univers ouvert interopérable qui permette d’avoir une seule norme technique. Mais plus vraisemblablement il y aura plusieurs écosystèmes, un ouvert et deux où trois propriétaires, et il faudra que nous soyons sur chacun d’eux.

Est-ce qu’on a déjà un retour quantifiable sur ce que les téléspectateurs privilégient ?

En télé connectée, pour l’instant plus c’est simple mieux c’est. Donc Salto, notre service qui permet de revenir au début d’un programme, marche bien. Je pense que, quand on est au tout début d’une nouvelle expérience et que les projets sont encore au stade de prototypes, les choses les plus simples sont les plus intéressantes. Pour l’instant le fait de pouvoir retourner au début d’un programme ou de revoir le programme en vidéo de rattrapage sont les deux fonctions les plus naturelles et intuitives, et donc celles qui fonctionnent le mieux.

Qui sont les consommateurs de ces nouveaux services? Sont-ils les mêmes que ceux qui regardaient les programmes de France Télévision auparavant ?

Aujourd’hui on ne peut pas encore identifier les individus qui utilisent ces services. On peut juste additionner les tendances sans pouvoir totalement les raccrocher à tel ou tel individu. Je ne peux pas vous faire le portrait robots de la personne qui utilise la télévision connectée. Nous n’avons pas encore les outils ni la masse critique pour pouvoir le dire. Ce que je constate, c’est à quel point des usages complètement nouveaux deviennent tout de suite tellement naturels pour les utilisateurs. Pour beaucoup de téléspectateurs, les nouveaux services sont adoptés très rapidement et deviennent évidents. Ils oublient presque qu’il y a quelques mois celui-ci n’existait pas. Pour aller au delà de la télévision connectée, le phénomène ATAWAD (Any Time, Anywhere, Any Device) dit que dés lors que vous avez testé le service sur votre smartphone, votre tablette où ailleurs, il vous semble absolument naturel. Nous ne sommes pas encore dans des outils de programmation particulière. Je suis absolument persuadé que certains programmes, comme les séries, pourront être proposées en intégralité à la demande comme ce que propose Netflix au travers de ses abonnements. La mobilité, l’hyper distribution se développent aussi. Une autre chose qui progresse est l’expérience double écran, c’est-à-dire regarder un programme sur son téléviseur et utiliser un autre écran pour consulter son fil Twitter où son profil. L’important pour moi c’est l’impact social, au sens large du terme, que provoque un programme de France Télévision. Est-ce qu’il est vu par beaucoup de monde, est-ce qu’il est partagé par beaucoup de monde?

Ne percevez-vous pas les réseaux sociaux comme des médias concurrents, qui captent l’attention des spectateurs ?

Non pas vraiment. Je pense qu’aujourd’hui nous devenons tous pluriels dans l’attention. Je sais que pour une chaine le plus important est de capter cette attention au maximum, mais finalement il y a très peu de moment dans la vie où nous sommes dans une attention simple. Les étudiants peuvent à la fois être attentifs au cours et attentif à ce qui se passe devant leur écran d’ordinateur. Nous avons ces facultés d’attention parallèle qui se développent et il est tout à fait possible de regarder la télévision en twittant.

Si vos services second écran se développent et monopolisent l’attention de vos téléspectateurs, comment faire pour gagner de l’argent ?

Si on fait tout ça ce n’est pas pour aller décrocher de nouveaux marchés publicitaires mais pour répondre à l’ensemble des usages de l’ensemble des personnes qui nous financent. Si certains ont décidé de regarder la télé sur leur tablette, il serait incompréhensible de leur dire que ce n’est pas possible. Cette disponibilité universelle fait partie de nos devoirs absolus. Qu’après ces univers là soit commercialisés et commercialisables, c’est-à-dire que nous puissions faire de la publicité dessus, c’est une manière d’en amoindrir le coût. Aujourd’hui ce que nous avons d’ores et déjà investit pour l’univers numérique n’est pas couvert par les recettes publicitaires.

Merci M. Patino.

Cette interview a été réalisée durant la quinzaine de Roland Garros en présence de Jérôme Bouteiller, Marion Moreau, Camille Bouiller, Jérémy Benmoussa, Marjorie Paillon, Corentin Vilsalmon, Hadrien Miche, Fred Cavazza et Virginie Achouch, que je remercie pour leurs questions.

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