Chroniques d'un Blogueur Tahitien de Coeur

Où est-ce que j'ai mis mon ticket de bus ? Je passe à la chanson suivante sur l'iPhone en vérifiant l'heure. Appel de ma cliente. Le temps s'arrête. Puis reprend son cours vers le prochain rendez-vous. Je vais avoir le temps d'aller faire du sport, si je me dépêche. Répondre à une invitation pour demain. Ne pas oublier les emails en retard. Et ces projets sur lesquels je n'ai pas avancé, je les note dans ma todo list, cette zone tampon qui apaise l'esprit et gonfle les obligations. Le froid est parti de Paris, parait-il. Je regarde à travers la fenêtre du bus, des klaxons répétés couvrent mes écouteurs et me sortent de ma rêverie d'efficacité.

Mais qu'est-ce que je fais là, exactement ? Comment en 10 jours j'ai pu remettre en question tant de certitudes. Il faut croire que je n'avais pas trouvé mieux que Paris. Enfermé dans le train-train de ma relation à Montmartre et la Rive Droite, j'ai des envies de rupture. Voyager jusqu'à présent ne m'a pas aidé à partir, plutôt à renforcer mon plaisir dans cette ville veille comme mon monde. Une rupture. Plutôt j'aimerais retrouver cet amour passager, cette passion ensolleilée qui m'emporta pour ne plus quitter mes pensées. Tahiti, tu me manques.

Retour à la réalité

La vie n'y est pas plus facile, à Tahiti. On ne trouve sur une rive de Teahupoo ou un ilot de Moorea ni plus ni moins qu'ailleurs. Le soleil adoucit le coeur, il ne rend pas les épreuves moins grandes. J'ai passé trois jours en ce début de semaine de FIFO à confronter mes idées reçues, à ramener à la réalité ce que j'avais imaginé de Tahiti. Mais la frustration ou la colère que j'ai pu éprouvés étaient surtout dirigés vers ma propre ignorance. On sait peu ce que sont les territoires d'outre-mer en métropole. Et le champ politique semble avoir ici encore plus de travail qu'en France, quand on y ajoute le choc des civilisations. Oui, civilisations. La France a colonisé, annexé, conquis, utilisé. Et plus rien ne changera cela, il faudra maintenant composer avec ce que nous léguons à l'histoire de cette île.

Quand j'entends ici à Paris en période d'élections des envies de révolte, des menaces parfois, je ne me souviens à Tahiti que de sourires. Pas les sourires d'accueil d'un festivalier, non je parle des sourires entre eux. Je vois partout de la générosité souriante. Dans Papeete, dans les films du FIFO, dans les histoires que je découvre et les drames qui se racontent. Toujours ces bras ouverts, cette culture de l'inconscience croiront certains. Une amitié plutôt. L'amical est ici pré-supposé, un mode de vie simple et direct.

Et qu'est-ce que je suis parti faire là-bas ? Bonne question. Je cherche encore. En commençant à écrire ce bilan j'ai pensé : 'trop, trop vite'. Un article devrait n'avoir qu'un sujet, mais si je veux évoquer tous les sujets qui me viennent sur les 10 jours passés au FIFO, je vais avoir un billet sans queue ni tête. Ma tête me pousse donc à parler de moi, seul point commun de ces réflexions. Et ce qui me définissait au FIFO c'était d'abord un mot qui reste une curiosité, même pour moi : Blogueur.

Alors c'est toi le blogueur ?

Je suis habitué à répondre sur mon identité, un prénom original ça questionne forcément. Pour une fois cette fantaisie se cachait vers la première des curiosités lors de mes rencontres sur le FIFO : "Alors c'est toi le blogueur ?". Oui c'est moi. J'ai gagné un concours sans trop savoir pourquoi, je n'ai pas cherché d'ailleurs à savoir, de peur que l'on me sorte du rêve qui me berce depuis cette annonce. Et pourquoi je suis là ? Je ne sais pas vraiment. Bloguer c'est d'abord partager. Alors je partage. Des humeurs, quelques écrits. Je fais ce que j'appris tout seul : la plume et l'oeil. L'un dans l'autre c'est parfois dangereux.

Mes photos ne sont pas publiées dans des magazines. Elles sont "likées" sur facebook. Mes articles sur la Polynésie ou le documentaire, concédons-le, ne sont pas les plus partagés par mon audience habituelle. Mais je fut heureux de voir que l'un d'entre eux eut un écho local, c'était le billet qui avait le plus de sens, tant mieux. Mes vidéos sont toujours en cours de montage, et si j'ai déjà exercé ma plume, je n'ai aucune expérience dans la production d'interview. Le résultat s'en ressent. J'en ai honte. Encore plus du peu de vues qu'elles occasionnent. Mais après tout je n'ai pas d'obligation de résultat.

Je suis ici blogueur, une sorte d'homme-orchestre du journalisme, totalement indépendant d'une rédaction ou de commande, une bête curieuse curieux de tout et pour tous. Ca me va. Si un jour qqn souhaite financer cela à plein temps, appelez-moi.

Au coeur du journalisme

Ceux que j'ai le plus fréquenté pendant mon séjour, ce sont certainement les journalistes. Un autre type de bête curieuse. Tant d'érudition, tant de culture chez quelqu'un, c'est effrayant. Habituellement ceux qui ont ces dispositions intellectuelles, je les appelle monsieur le ministre ou madame la présidente.

Est-ce le secteur des médias en total bouleversement, également par le fait de blogueurs décadents, la destination exotique ou les particularités de ceux qui m'accompagnent ? En tout cas j'ai observé depuis l'antre de leur métier tout ce qui rend les journalistes à la fois essentiels pour chacun de nous et un peu perdus dans la nouvelle jungle des médias. Je ne rentrerai pas dans ces détails, je leur réserve un billet rien que pour eux et ces réflexions qui n'engagent que moi.

Les journalistes constituent probablement la population la plus fascinante qu'il m'ait été donné d'observer cette semaine. J'ai surtout je crois eu la chance de rencontrer quelques belles personnes qui s'entendaient bien. On a bien ri, des plages de Moorea à la salle de Presse du FIFO, bien bu des cocktails présidentiels au Ute Ute. Ils ont surtout produit beaucoup plus de contenu que je ne pourrais le faire pour l'instant. J'ai tellement appris, à leurs côtés. Leur regard est toujours engagé, chargé d'une tension culturelle, d'une intention politique. Ce n'est pas reposant d'avoir des avis sur tout, de chercher des angles aux histoires, d'entrer en compétition individuelle sur des sujets ou des rencontres. Mais c'est enrichissant d'avoir pu les accompagner, et j'espère pour certains de m'en être fait des amis.

Il suffit d'une étincelle - Pouvanaa

Assez vite ma question fut : quoi écrire ? Qui suis-je pour avoir un avis sur des documentaires, une opinion sur l'Océanie que je découvre ? J'aurais dû constater aussi que la production audiovisuelle locale pour le FIFO était bien meilleure que mes interviews de débutant. Mais il me fallut une semaine pour le réaliser. J'ai pensé un instant provoquer. Pousser un coup de gueule magistral comme certains de mes lecteurs m'en savent capable. C'eût été stupide, la providence me proposa une autre approche.

Il y eu cette rencontre avec un film, Pouvanaa. Je considère ce film comme une rencontre avec un peuple, avec une histoire. En sortant de la projection les larmes au yeux, je fonçai vers la salle de presse. L'appel du clavier, l'évidence que ce film était nécessaire et que la seule raison de ma présence ici était d'en parler. Mon maître en photo disait que ce n'est pas nous qui prenons la photo, c'est elle qui nous prend. Le billet que j'écrivis sur Pouvanaa me pris à la gorge, j'avais besoin de le partager.

Calé sur mes horaires de publication en métropole, je constatais avec horreur dans ma chambre d'hôtel à 5h du matin que personne ou presque ne partageait ce billet, qu'il ne serait presque pas lu en France. Donner tant de coeur et d'énergie pour presque rien, j'avais honte, encore. Les réactions tahitiennes qui apparurent ensuite n'eurent qu'un plus grand effet. Dès le lendemain, on vint souvent me voir pour me féliciter ou me remercier, souvent des tahitiens et tiennes. Je pourrais bien flatter cette prestation au milieu de cet ego-trip en les citant, mais j'ai un peu de pudeur. Je dirai en retour ce que j'entendais : merci. En me remerciant vous donnez un sens à tout ça, je sais que j'étais un peu entendu, avec un style que j'espère on ne retrouve pas ailleurs.

Merci Marie-Hélène pour ce film. Merci pour Tahiti et le devoir de mémoire. Merci de m'avoir un peu adopté, en me disant adopter mes mots pour parler de ton film. J'en suis fier. Et j'espère que ce billet participera à sa visibilité, il le mérite.

Photographe, comme tout le monde

Pas un instant sans mon boitier. La magie du numérique en photo, c'est que tout le monde peut s'improviser photographe. Je suis un apprenti depuis 3 ans et je suis heureux d'être le 1er profiteur de cette démocratisation, même si cela bouleverse une profession. Car j'ai pris un plaisir intense dans la photo ici, au fil des rencontres ou des quelques jours de tourisme qui nous furent offerts. Et les réactions m'ont surpris, particulièrement l'une sur Flickr, d'un anonyme qui souhaite que j'explore plus avant cette passion, que je la professionnalise. Cet encouragement me touche énormément, tout en me questionnant sur comment je pourrais tout mener de front sans être médiocre un peu partout...

D'ici là voici mes photos, sur la musique de Murundak Songs of Freedom, grand prix du FIFO 2012.

[vimeo]http://vimeo.com/37036287[/vimeo]

Et si vous voulez les voir une par une, c'est par là : http://flic.kr/s/aHsjyz8NVT

Trop. Trop vite.

Lorsque les jaloux me questionnaient sur mon départ imminent vers Tahiti, je répondais que je préfère découvrir un pays en y travaillant qu'en y passant des vacances. Je n'ai pas découvert, j'ai appris. Trop, trop vite. Trop d'émotions dans les films, la chance de fréquenter les auteurs, les politiques en représentation, être au coeur d'un des événements majeurs de l'île, les journalistes donc, la générosité à coeur ouvert, des envies personnelles de projets qui me ramèneraient ici, les yeux à droite, le coeur à gauche, ce coup de soleil sur le dos. Trop de souvenirs en si peu de temps. Trop vite pour vraiment savoir, trop peu pour apprécier à sa juste mesure.

Ce qui restera de mon passage, ce n'est pas trop, mais je l'ai fait trop vite.

Il me reste encore 2 billets, l'un sur le journalisme, l'autre sur la production de documentaire, que j'essaierai de vous livrer rapidement.

Je n'ai donc pas fini ma correspondance avec cette île que j'aime maintenant pour toujours. Et que je compte bien retrouver. Ne pars pas trop loin de mes pensées, Tahiti. Je reviendrai.